HISTOIRE DE LA SIDERURGIE FRANCAISE
L’industrie sidérurgique française trouve ses origines dans la révolution industrielle quand plusieurs dynasties de l’acier, plus tard appelée « Maîtres de forges », la dirigeaient. Il y a près d’un siècle, leur influence se trouva renforcée quand François de Wendel devint régent de la banque de France.
A cette époque, la puissance d’un pays était jaugée à l’aune de sa production d’acier et de charbon, le pouvoir économique et politique des maîtres de forges est alors considérable. Ils produisent les poutrelles des structures des bâtiments d’usines, de grands magasins ou d’immeubles cossus comme ceux du boulevard Haussmann à Paris. Leurs aciers sont indispensables pour fabriquer les canons, les navires, les rails, les locomotives et tous les biens d’équipements qui sont envoyés dans l’empire colonial.
La demande d’acier était si importante que les producteurs décidaient à qui et combien ils vendaient leur acier. Petit à petit, un modèle social émerge, plus tard connu sous le nom de « paternalisme », ou l’usine était au cœur de presque tous les moments de la vie de l’employé.
Historiquement, les sites de production étaient installés dans les vallées où se trouvaient l’eau, les forêts et les gisements miniers. Hayange, Florange, les vallées de l’Orne, de l’Escaut ou encore de la Fensch, chantée par Bernard Lavilliers, fonctionnaient presque toutes sur le même modèle et dominaient l’économie de toute une région. Cette expansion économique et industrielle se poursuivit pendant des décennies, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, puis au-delà durant les Trente Glorieuses.
Application de l’acier :
BIG IS BEAUTIFUL
A partir de 1950 la production française d’acier augmente régulièrement. C’est une époque d’abondance et de croissance rapide qui voit, à la fin des années 1960, la construction des premiers complexes sidérurgiques côtiers intégrés dans le cadre du 6ème Plan stratégique de l’Etat française. Ces immenses sites côtiers furent construits pour répondre au tarissement des ressources naturelles qui touchait les sites situés à l’intérieur du pays. Cela entraîna l’augmentation de la production et le perfectionnement de la logistique.
Le premier site est inauguré à Dunkerque par Charles de Gaulle en 1966, le second, Solmer, appartenant à Wendel-Sidelor, voit le jour à Fos-sur-Mer au début des années 1970.
A la suite d’une consolidation progressive du secteur sidérurgique français, Usinor et Sacilor étaient les deux sociétés à faire fonctionner ces nouveaux complexes.
Le charbon et le minerai de fer issus auparavant des sous-sols lorrains et nordistes furent désormais importés de Mauritanie, du Canada, et bientôt du Brésil ou d’Australie où l’exploitation à ciel ouvert était plus économique avec, de surcroît, des minerais plus riches en fer.
Ultramodernes, ces nouvelles installations côtières sont plus rationnelles et plus rentables du fait de leur taille beaucoup plus importante comme dans le cas de l’usine de Fos dont la nef centrale de presque 1000 mètres de long peut loger une dizaine de cathédrales comme Notre-Dame de Paris. Ces nouvelles usines intégrées sont automatisées et sont équipées des toutes dernières technologies, comme la coulée continue. Elles apportent à l’époque plus de sécurité au travail.
Le coût de la main d’œuvre par tonne produite y est logiquement plus bas. Là où un site intérieur produit péniblement 2 millions de tonnes, une usine côtière produit facilement 5 ou 6 millions de tonnes. Les navires pouvaient à l’époque transporter environ 10 000 tonnes de charbon et de minerai de fer – aujourd’hui, ils en acheminent jusqu’à 400 000 tonnes – alors que les trains qui transportaient ces matériaux depuis la côtes jusqu’aux sites continentaux pouvaient n’en transporter que 1200 tonnes chacun.
La proximité maritime change complètement l’approche logistique de ces nouveaux sites, elle rend possible des transports vraquiers gigantesques par des navires minéraliers spécialement conçus à cette effet et dont la taille dépassa rapidement 500 kT alors qu’un train n’en transporte que 20kT. L’expédition de la production de l’usine bénéficie elle aussi de cette proximité décisive du port attenant.
Production d’acier brut depuis 1950
(source: Fédération Française de l’Acier, L’acier en France, rapport annuel 2011)
LES ANNEES DE DECLIN
Les premiers chocs pétroliers et les ralentissements économiques qui suivirent dans les années 1970 eurent un impact immédiat sur l’industrie sidérurgique. Cette période de récession mit en évidence le manque de compétitivité des sites les plus anciens, dont la productivité était très faible, et finit par mettre à mal toute une industrie. A partir de 1973, la sidérurgie devient un gouffre financier pour l’Etat français qui la subventionne… 1979 est une année noire avec la fermeture de beaucoup d’usines dans le Nord et en Lorraine et 12000 suppressions d’emploi à Longwy.
A partir de 1981 et de l’élection de François Mitterrand comme 4ème Président de la Vème République, le changement politique entraîne la nationalisation de la sidérurgie française.
Malgré cela, les déficits à combler sont de plus en plus lourds et en 1984, le gouvernement socialiste de Laurent Fabius finit par entreprendre une restructuration en profondeur de la production d’acier en France. Le Plan Acier, contre toute attente de la part des syndicats, ferme des usines à Longwy, à Pompey et un peu partout en France. Gandrange est déjà fortement touché et perd le tiers de ses emplois. Une protestation sans précédent s’en suit avec des manifestations parfois très violentes des métalos et un départ des ministres communistes du gouvernement. Rien n’y fit, les usines fermèrent et des hauts fourneaux comme celui de Thionville qui était le plus gros d’Europe furent mis à l’arrêt
De 1976 à 1990 les effectifs d’Usinor et de Sacilor passèrent de 157 000 personnes à moins de 40 000. La CGPS (Convention Générale de Protection de la Sidérurgie) fut mise en œuvre et une partie importante des effectifs prirent une retraite anticipée dans des conditions financières enviées par beaucoup de salariés du secteur privé.
A partir des années 1990, d’autres modèles de production appelés « mini usines » vont bientôt émerger remplaçant les hauts fourneaux par une aciérie électrique alimentée par des ferrailles recyclées qui sont fondus dans un four à arc. Ces petites structures, dont l’un des pionniers est Nucor aux USA, produisent à l’époque un million de tonnes d’acier et emploient environ 1000 salariés.
GRANDES OPERATIONS EUROPEENNES ET MEGA FUSIONS
A partir de 1986, l’Etat français nomme Francis Mer à la double présidence d’Usinor et de Sacilor. Sous sa houlette, les deux groupes sont fusionnés en une même entité appelée Usinor Sacilor puis Usinor. Francis Mer tente d’agrandir l’ensemble et réalise dès 1989 des acquisitions comme celle de le sidérurgiste allemand Saarstahl, racheté pour un Deutsch Mark symbolique.
En janvier 1992, la Guerre du Golfe plonge l’Europe et le monde dans une crise économique majeure. Usinor Sacilor se désengage à regret de son acquisition allemande en 1993.La même année, l’usine de Caen et son haut fourneau, inauguré en grande pompe l’année précédente, sont définitivement arrêtés.
La société est privatisée en 1995, l’Etat conservant au départ une participation minoritaire avant de se retirer. En 1998, Usinor acquiert le belge Cockeril Sambre. Deux ans plus tard, une autre fusion s’organise à l’échelle européenne entre Usinor, Arbed au Luxembourg et Aceralia en Espagne. La nouvelle entité, Arcelor, est une société de droit luxembourgeois dont le siège se situe au Grand-Duché. Arcelor possédait alors l’ensemble des activités sidérurgiques françaises qui comptait à l’époque 25 000 salariés. Le capital du groupe est très dispersé entre des investisseurs institutionnels, des Etats et des petits actionnaires. Arcelor a élaboré une feuille de route, le plan Apollo pour rendre la société plus compétitive. Dans ce plan, il était programmé que les hauts fourneaux de Florange ferment en 2010.
En mars 2007, Arcelor a fait l’objet d’une offre publique d’achat (OPA) par le groupe sidérurgique Mittal Steel.Après six mois, Mittal Steel et Arcelor trouvèrent un accord pour la fusion et formèrent un ensemble industriel géant dont les activités minières et de production d’acier sont réparties sur quatre continents. ArcelorMittal devenait alors le leader incontesté du marché, représentant environ 10% de la production mondiale d’acier.
Evolution de la production mondiale d’acier brut
(source: Fédération Française de l’Acier, L’acier en France, rapport annuel 2011)
En septembre 2008, la crise des « sub primes » plonge l’économie mondiale dans la plus forte récession depuis la Seconde Guerre mondiale. La consommation d’acier chute drastiquement et les prix s’effondrent. La demande d’acier aurait chuté d’environ 50%. Des mesures d’adaptation furent prises pour limiter l’impact de la crise. Cela impliquait la mise à l’arrêt d’un certain nombre d’installations. Certains syndicats reconnurent alors la nécessité de cette action dans un entretien au journal Le Républicain Lorrain. Selon eux, la gestion de crise et la taille critique d’ArcelorMittal avaient protégé le nouveau groupe sidérurgique et limité l’impact social grâce au recours au chômage partiel.
Ce qui avait été envisagé au départ comme un problème de nature cyclique s’est révélé être en réalité un problème structurel. La crise s’est prolongée depuis 2009 en Europe et la demande d’acier a chuté d’encore 9% en 2012. Au total, la demande est inférieure de 30% par rapport au niveau d’avant la crise. Même si la demande remontait de 3% par an à partir de 2013, elle serait, en 2020, toujours inférieure de 14% au niveau d’avant la crise. Ce changement structurel nécessitait le projet de fermeture définitive des deux hauts fourneaux de Florange.
Le problème n’est pas simple et dépasse le seul secteur de la sidérurgie.
Nous sommes convaincus que l’Europe peut et doit avoir un avenir industriel mais que pour ce faire elle doit s’adapter, se concentrer sur sa compétitivité, ne jamais cesser d’innover et se spécialiser dans des produits haut de gamme et à haute valeur ajoutée.